SAN LEUCIO. GENIUS LOCI (FR) par Helene Blignaut – Numero 7 – Aprile 2017

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SAN LEUCIO. GENIUs         LOCI

 

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La beauté conquiert et rend amoureux car, outre le charme de surface que perçoit le regard humain, elle cache et révèle une profondeur, une substance rayonnante, qui demande à ne pas être retenue, mais au contraire diffusée à ceux qui savent l’apprécier.

La beauté génère la beauté et, dans les endroits où elle parvient à se manifester dans la splendeur qui lui vient de sa propre histoire, chaque chose et chaque événement qui s’y insèrera en deviendra beau et brillera de la même lumière, suivant naturellement le plan prospectif généré par l’admirable contenant.

 

Il y a un lieu dans le sud de l’Italie, dont la beauté, comme dans un conte de fées, doit tout aux événements séculaires qui s’y sont déroulés et aux œuvres qui y furent créées. Des œuvres qui, aujourd’hui encore, sortent des mains des artisans savants pour être offertes à l’intelligence des amateurs dans toute leur profonde beauté atemporelle et qui perpétuent l’ambition d’une synthèse vertueuse entre le beau et le juste comme le revendiqua leur initiateur par excellence, le roi Ferdinand IV de Bourbon. Il s’agit de San Leucio, une banlieue de la ville de Caserte qui, sur l’ordre du roi, devint brusquement un unicum imprévisible unissant noblesse monumentale donnant sur des paysages verts pensifs et une communauté humaine qui reçut le privilège d’apprendre l’art du tissage de la soie et de la production d’objets extraordinaires.

 

Alors même que la colonie royale de San Leucio voyait le jour et commençait, à réaliser le rêve royal illimité, calme et laborieuse, 

jour après jour, dans son territoire exigu, le beau-frère 

et la belle-sœur de Ferdinand IV perdaient la tête 

sous la lame d’une révolution sanglante.

 

Notre roi avait épousé Marie-Caroline de Habsbourg-Lorraine, sœur de l’Autri-Chienne, comme le peuple français en révolte surnommait Marie-Antoinette d’Autriche, épouse de roi Louis XVI. Les échos du sang et de la terreur ne parvinrent cependant pas à arrêter la volonté de ce visionnaire qui, peut-être submergé par la pompe excessive du Palais Royal de Caserte, avait décidé de transformer le village en une splendide enclave dont l’existence et la merveille n’étaient toutefois pas une fin en soi. A cet endroit existait déjà une belle petite église ancienne. Il fit construire dans le quartier du Belvédère un pavillon de chasse et il envoya y vivre quelques familles afin qu’elles s’y consacrent. Le roi avait une mentalité moderne et il décida ainsi de donner vie à un modèle social absolument nouveau, imposant une structure urbaine harmonieuse avec une place circulaire et un système de rues radiales, promouvant l’autonomie économique avec la création d’une usine pour la production de soie de haute qualité, de quelque chose qui n’avait jamais été vraiment vu auparavant.

 

Non seulement visionnaire, mais aussi précurseur de cette égalité qui se fondait sur la dignité de pouvoir vivre de son travail, mais aussi sur la prévoyance sociale et la prise en compte (avant l’heure) des droits 

de l’homme avec des heures de travail quotidien réduites 

à onze heures au lieu des quatorze en vigueur dans le reste 

de l’Europe, avec un salaire égal pour les hommes et les femmes, l’éducation obligatoire et gratuite et une formation professionnelle 

qui tenait compte des capacités des jeunes.

 

Même le logement était gratuit et construit avec tout le confort possible à l’époque. La vaccination contre la variole était obligatoire. La gestion de cette entreprise, qui généra entre autre une sous-traitance notable, eut des conséquences importantes. Elle anticipait en effet l’affirmation des droits dont la revendication marquerait plus tard l’histoire politique et sociale du continent. Elle était une sorte de Ferdinandópolis avec un Code, dont les principes fondamentaux étaient: l’éducation, l’intégrité et le mérite, et où il n’y avait pas de place pour les distinctions hiérarchiques et de condition. Du patrimoine vivant des vers à soie qui étaient élevés dans le bâtiment des chenilles jusqu’à la préparation des écheveaux, aux machines de filature, aux métiers à tisser, à la soierie mécanique, la création de tissus luxueux pour vêtements et meubles prestigieux sut évoluer vers une extraordinaire gamme de brocarts de soie d’or et d’argent, de gros de Naples particuliers, et même un tissu innovant original qui fut appelé Leucide.

 

Avec l’introduction dans la première moitié du dix-neuvième siècle du jacquard, la technique de tissage qui fit la fierté de la France, furent créées des œuvres qui en ennoblirent les productions et qui se  

rapprochaient plus de l’art que de la réalisation 

d’objets d’usage courant.

 

Les couleurs étaient naturelles et l’inspiration culturelle des nuances inhabituelles imposait des définitions qui, déjà en en elles-mêmes, évoquaient des émotions et des désirs: vert saule, vert de Prusse, Séville, Eau du Nil … Des noms suggestifs de tissus pour tapisseries, rideaux, housses de canapés et oreillers, mais aussi des châles, corsets, mouchoirs et autres vêtements délicieux. Les tissus pour l’ameublement fascinèrent rois, reines et papes et ornent encore aujourd’hui les pièces du Quirinal, du Vatican, le palais de Buckingham, la Maison Blanche et d’autres endroits prestigieux. Des célèbres designers de la mode internationale se laissent encore séduire pour leurs créations les plus haut de gamme. L’histoire suit son court, l’évolution du progrès produit des décadences et des nouveaux départs; ainsi, avec l’avènement de l’unité de l’Italie, le rêve de Fernandópolis fut englobé dans le territoire du nouvel état. Mais la mythologie d’une matière née de la volonté inébranlable d’un roi ne pouvait pas succomber.

 

Aujourd’hui, les tissus de San Leucio demeurent un patrimoine exceptionnel et dans leur trame demeure intacte une vitalité de faire qui n’a jamais cessé de se nourrir elle-même. Avec l’utilisation appropriée des nouvelles technologies, et sans dénaturer son caractère artisanal, se créent des œuvres qui nous apportent encore la profondeur 

multiple de leur beauté, leur histoire, leur patrimoine utopique, 

 

mais aussi la sensibilité tactile ou l’épaisseur crémeuse de certaines textures, la consistance – qui semble parfumée – des grands motifs floraux, les tonalités sonores de la soie craquante. Des sensations qui stimulent une attention passionnée et heuristique pour découvrir d’autres sens. Les appartements royaux et la maison des tisserands sont visibles, transformés en musée. Toutefois, le consortium des entreprises qui descendent de ces anciennes familles est plus que jamais actif et disponible. Les événements culturels attirent des visiteurs du monde entier: en Juillet, le Festival Leuciana est une évocation en costumes historiques. En Octobre, le Festival du Vin, des Vignobles et de la Soie perpétue, de manière agréablement matérielle, le rêve qui inspira un ancien roi. Les usines et les ateliers abritent une foule de trésors à découvrir.

 

 

 

 

 

Crédits photos Complesso Monumentale di San Leucio

 

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Helene Blignaut

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